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Miaou !
Alors que je creuse, le chat me tourne autour et joue avec la
ceinture de mon pyjama. La terre crisse sous la pelle puis glisse et
craque quand je la jette hors du trou. Un arbre me cache les étoiles,
mais je sens sur moi le regard scintillant d'Emma la Blonde et l’œil
ténébreux du revolver de Lucas. Je grelotte, pourtant je
transpire : creuser me réchauffe. La pelle va et vient, crisse,
glisse, craque, crisse, glisse, craque, et de la corne se forme sous
mes doigts, et de la poussière s'introduit dans mes pores.
Miaou !
Le chat gratte la terre avec frénésie et y déterre une salamandre.
Ils se crachent dessus, se courent après, sortent de la fosse, y
reviennent, ignorent ma pelle, tournent autour de mes jambes, nues.
Je suis nue, recouverte de terre, je deviens la terre, et je creuse,
la pelle va et vient, crisse, glisse, craque, crisse, glisse, craque,
et des vers de terre s'entortillent, et l'amas de terre devient une
sorte de golem qui n'attend que mon ordre pour se mettre enfin en
marche.
Miaou !
Le chat se plante devant moi, la salamandre joue avec la pelle, la
mordille, saute dessus, et l'empêche de creuser. Je la retire de la
terre, et la brandis pour me débarrasser de l'amphibien, mais leste
et agile, il court vite et évite chaque coup. Le chat, excité par
ce drôle de jeu, bondit partout, sur mes épaules, au fond du trou,
sur le tas de terre qui s'effondre et enterre mes pieds.
Miaou !
Le chat grimpe sur l'arbre qui n'est plus un arbre mais une immense
pierre tombale, de 36 étages exactement, 36 étages d'épitaphes,
Ci-gît mon bon papa qui se
complaisait dans le chagrin, Ci-gît
ma petite maman inconnue fauchée bien trop jeune et bien trop belle
par un sombre inconnu, Ci-gît Lucas le ténébreux qui aimait les
jeux dangereux, Ci-gît
Maria-Magdalena qui s'est brûlée en mangeant une vengeance bien
trop chaude, Ici gît Camille –
— Non, ça ne me regarde pas !
Je hurle et balance ma pelle contre la pierre tombale qui n'est pas
si grande après tout, et le chat se jette dessus et crache pour
attirer mon attention, il se lèche le cul sous le regard amusé de
la salamandre à qui il envoie un coup de patte bien placé sur le
haut de sa tête visqueuse d'amphibien.
« Miaou ! Je ne me lèche pas le cul, tu rêves ma
petite fille. »
Le chat parle comme si miauler
n'était plus assez bien pour lui et il m'appelle petite
fille parce que je suis
une petite fille et je suis dans mon lit et des dizaines de Oui-Oui
roulent sur mon pyjama avec leur petite voiture jaune et bleue et
rouge, et mon nounours me protège de la nuit effrayante et du chat
et de la salamandre qui se battent gaiement sur la couette rose qui
aurait été bleue si j'avais été un garçon mais qui est rose
parce que je suis une petite fille.
« Miaou ! Ne te réveille pas, ma petite fille,
dors ! »
Et je dors. Le nounours qui a peur s'agrippe à moi, il a peur de la
nuit, il a peur du silence, il a peur du chat, ce n'est pas normal un
chat ici, mais après tout, qu'est-ce qui est normal et qu'est-ce qui
ne l'est pas en ces lieux, et puis, de toute façon, il ne va pas
nous tuer, ça c'est sûr, et j'ai la tête qui tourne, je veux me
réveiller, je veux juste me réveiller.
« Miaou ! Je te préférais quand tu creusais, ma
petite fille ! »
Alors je creuse, mais je ne suis plus une petite fille, je suis une
femme maintenant, et je creuse la tombe des gens que j'ai aimés, qui
m'ont aimée, et j'écoute le chat qui parle, comme s'il était trop
snob pour miauler encore. Il me semble que la salamandre parle aussi,
à moins que ce ne soit le sifflement du vent dans les branches des
arbres alentour.
« Miaou ! Alors comme ça tu as vendu ton âme, ma
toute belle ? Et à qui as-tu vendu ton âme ? À qui as-tu cru
vendre ton âme, ma toute belle ? »
La salamandre s'y mêle et arrête
de jouer avec la pelle et avec la terre et avec les vers de terre et
susurre d'une voix mesquine et fluette « oui,
parce que c'est bien beau tout ça, mais ça fait des siècles que je
ne les achète plus, les âmes, petite fille ».
Et je suis de nouveau une petite fille, allongée dans mon lit. Je
grelotte. Le nounours s'est caché sous le lit. Je crois que je crie,
mais si mon papa ne vient pas c'est que je ne crie pas. Le chat
avance à tâtons sur la couette qui perçoit à peine le mouvement,
approche la tête de la mienne et la glisse dans mon cou.
« Miaou ! N'aie pas peur, ma toute belle, ma petite
fille. »
Quelque chose tourne autour de ma jambe. Je suis terrifiée, c'est
froid et visqueux, ça glisse sur mon corps. C'est la salamandre qui
s'extirpe de sous la couette et qui me mordille l'oreille.
« Je te trouve bien gentil, le chat, mais avec ces histoires
d'âmes qui s'envolent, se perdent, s'achètent, se vendent, je te
raconte même pas la panique ! »
Le chat crache vers la salamandre qui recule de quelques centimètres,
puis il frotte ses moustaches contre mes cheveux, renifle mes yeux,
lèche mon nez.
« Miaou ! N'aie pas peur, ma petite fille, trouvez vos
âmes, et rendors-toi ma toute belle, tu rêves. »
« Miaou ! Cherche
le détective privé ! »
Je poussai un cri inaudible qui me réveilla dans la lumière bleutée
de la chambre. La nuit avait soufflé sur mes rêves qui s'étaient
envolés, légers comme des plumes bleues.
« Miaou ! Cherche le détective privé ! »
Des plumes bleues décrivaient des tourbillons lents dans le souffle
de la nuit, et le chat, rapide et agile, les chassait en de multiples
bonds.
Ici gît Cami –
« Miaou ! Tu dors encore ma toute belle, il est temps
de te réveiller ! »
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